Athlétisme : une passion cent bornes
De gauche à droite : Ludovic Dubreucq, Régis Raymond, Dominique Bordet, Jérôme Andrieu, lors d’un stage de préparation à Andrézieux fin octobre.
Ludovic Dubreucq ne cache pas sa joie. En cette fin du mois d’octobre, son visage anguleux affiche un sourire de grand gamin. A 37 ans, un âge synonyme de fin de carrière pour beaucoup de sportifs, il vient de réaliser ce qui n’était même pas un rêve de jeunesse. Dans une chambre au décor monacal du centre d’entraînement d’Andrézieux (Loire), il s’extasie devant son nouvel équipement tricolore. L’encadrement technique a même trouvé un cuissard à sa taille alors que ses quadriceps sont à peine plus épais que ses mollets. « Quand on m’a appris que j’allais rentrer dans la sélection, j’étais tout fou, résume-t-il. C’est énorme.L’équipe de France, c’était inimaginable. »
Vendredi 21 novembre, après 7h44 d’effort, Ludovic Dubreucq a terminé 39e des championnats du monde du 100 kilomètres sur route, à Doha. La course à pied lui était pourtant presque inconnue il y a huit ans. Il a débuté « sur un pari, avec mes deux frangins. Je fumais, je n’étais pas fait pour aller courir. On a commencé par un petit cross. Depuis, je ne me suis pas arrêté ». Du 10 kilomètres au marathon, il goûte alors à tout, écume les podiums régionaux, tutoie les 2 h 30 au marathon. La semaine, il jongle entre les entraînements et ses « petits boulots » d’intérimaire. Et quand on lui demande pourquoi, à l’automne 2013, il se décide à courir son premier 100 kilomètres à Amiens, où son chrono de 7 h 13 min 05 s lui vaut d’être sélectionné pour aller au Qatar, sa réponse a de quoi surprendre : « Etant un ancien gros fumeur, je n’ai pas assez de souffle pour être performant sur les distances plus courtes, où le rythme est plus élevé. »
« Quand on dit que l’on fait du 100 kilomètres, j’entends souvent en réponse : à vélo ou en voiture ? »
Des parcours atypiques, l’équipe de France du 100 kilomètres présente au Qatar – six hommes et trois femmes – en compte une ribambelle. A commencer par le doyen des Bleus chez les hommes, Régis Raymond, 43 ans, ouvrier dans une usine de métallurgie de la région de Dijon. Comme beaucoup, ils’est sérieusement mis à la course à pied sur le tard, « à 25 ans ». Pour se rendre à son travail, à 30 kilomètres de chez lui, il court. Et accumule désormais 200 kilomètres d’entraînement hebdomadaire.
A Andrézieux, le responsable du stage de préparation des « cent-bornards », Christophe Buquet, présente lui aussi un CV peu commun. Ancien triathlète de haut niveau, il a découvert le 100 kilomètres « un peu par hasard », la trentaine largement passée. Salarié du Moulin-Rouge depuis une quinzaine d’années, il transmet son savoir-faireà une équipe qui manque d’expérience internationale. On pourrait aussi citer la discrète Gwenaëlle Guillou, 44 ans, comptable en Bretagne et auteure de 8 h 18 min 02 s, un chrono international, pour son premier 100 kilomètres cette année, deux ans après son premier marathon. A Doha, elle n’a pu descendre sous les 8h30 mais a terminé meilleure française, à la 21e place.
Le « 100 bornes », ainsi que l’appellent souvent les spécialistes de l’ultrafond, apparaît comme une porte d’entrée pour des athlètes qui n’auraient pas eu accès à l’équipe de France sur des distances plus courtes. Beaucoup sont arrivés sur cette épreuve après en avoir disputé des moins longues, ce qui explique la moyenne d’âge élevée, proche des 40 ans. La discipline reste méconnue, loin du succès des épreuves de trail. « Quand on dit que l’on fait du 100 kilomètres, j’entends souvent en réponse : à vélo ou en voiture ? », s’amuse Jérôme Bellanca, un ingénieur de 37 ans, champion de France 2013 de la distance et 29e à Doha.
Ampoules, douleurs bénignes et problèmes digestifs sont fréquents dans cette discipline très éprouvante. Ampoules, douleurs bénignes et problèmes digestifs sont fréquents dans cette discipline très éprouvante.
En France, le 100 kilomètres, apparu il y a une quarantaine d’années, demeure assez confidentiel. La première épreuve de ce type vit le jour à Millau, en 1972. Aujourd’hui, « une douzaine sont organisées en France chaque année, avec quatre ou cinq grosses épreuves, précise Jean-François Pontier, manageur du hors stade à la Fédération française d’athlétisme et présent à Andrézieux pour encadrer le stage. Le 100 bornes est une épreuve difficile à organiser ».
Organisés chaque année depuis 1987, les Mondiaux du 100 kilomètres, qui avaient été prévus en Corée du Sud, n’ont finalement pas eu lieu. Cette année, le Qatar a offert une porte de sortie à l’International Association of Ultrarunners, l’organisateur des championnats internationaux de l’ultrafond, après la défection de la Lettonie, où auraient dû se dérouler les Mondiaux à la fin de l’été. « Il y a actuellement un vrai souci économique, qui fait que les épreuves moins médiatiques sont touchées en premier », observe Jean-François Pontier.
La distance n’est pas bling-bling : personne ne vit du 100 kilomètres. Les primes de podium sont rarissimes. Au Qatar, l’enveloppe globale pour récompenser les meilleurs spécialistes mondiaux parmi les quelque 200 participants s’élèvait à 10 000 dollars (7 980 euros). Certains des athlètes français les plus performants sur la distance arrivent à glaner de menues aides auprès d’un équipementier ou d’une marque de boisson énergisante, mais tous ont un métier à côté. Amateurs, ils doivent apprendre à gérer leurs entraînements avec une rigueur professionnelle.
A Andrézieux, lors du seul stage de l’année réunissant l’équipe de France du 100 kilomètres, les coureurs partagent leurs déjeuners dans un gymnase municipal, juste à côté des enfants d’un centre aéré. Un environnement idéal pour ne pas attraper la grosse tête. Mais le risque apparaît faible chez ces compétiteurs, assure Jean-François Pontier : « Ce sont des gens humbles. Ils sont attachants et habitués au goût de l’effort. »
Cette humilité se traduit dans l’approche de l’épreuve, où les meilleurs hommes courent pendant plus de six heures et les meilleures femmes en moins de huit heures. « Il faut respecter la distance, explique Ludovic Dubreucq, gérer son parcours et surtout avoir un gros mental. A un moment ou à un autre, cela devient dur pour tout le monde, du meilleur au dernier du peloton. » Durant le stage à Andrézieux, fin octobre, entre les réunions de sensibilisation sur l’importance des ravitaillements et la préparation optimale de la compétition, le message a été martelé par Christophe Buquet : « N’essayez pas de surjouer, on vous a pris pour ce qu’on a vu aux précédentes compétitions. Plus que partir prudemment, il faut faire preuve de bon sens. »
Stage d'entrainement de l'équipe de France du 100 km à Andrézieux. Stage d'entrainement de l'équipe de France du 100 km à Andrézieux. | Elisabeth RULL pour Le Monde
« Il faut savoir se mettre le frein », résume Magali Reymonenq. A 45 ans, elle compte 19 sélections sur le 100 bornes, une longévité inhabituelle. Et la vétérane d’expliquer : « Il faut être capable de résister dans la souffrance et de se dire que ça va revenir. Tu morfles, mais ça va revenir. » Au Qatar, elle a dû abandonner. De par sa longueur, l’épreuve offre d’inévitables passages à vide, mais aussi des moments d’euphorie. « Il faut aimer l’effort d’endurance en lui-même. Au bout d’un certain temps, on est bien dans sa foulée, les kilomètres défilent et on ne s’en rend même plus compte », décrit Jérôme Bellanca, capable de maintenir une moyenne proche de 15 kilomètres-heure durant toute l’épreuve.
Les cent-bornards rejettent l’étiquette de têtes brûlées. Leurs entraînements ne sont pas beaucoup plus copieuxque ceux des marathoniens de haut niveau. Ampoules, ongles abîmés, problèmes digestifs, les douleurs bénignes sont légion, mais les blessures plus graves ne sont pas plus nombreuses, assure Arthur Brulé, médecin du sport chargé des équipes de 100 kilomètres depuis 2006 : « Ces épreuves sont physiologiquement très éprouvantes, mais on observe moins de blessures dans les épreuves d’ultra que dans les autres. » « Il faut être solide. La difficulté de passer du marathon au 100 kilomètres, c’est la destruction musculaire, ajoute Jean-François Pontier. Les coureurs de 100 bornes ne sont pas aussi légers que l’image que l’on se fait du marathonien de haut niveau. Il faut être capable de résister pendant plus de six heures à l’accumulation des chocs. »
« Ces épreuves sont physiologiquement très éprouvantes, mais on observe moins de blessures dans les épreuves d’ultra que dans les autres. »
Au Qatar, il a aussi fallu se faire à la chaleur et à l’horaire, inhabituellement tardif : le départ avait été programmé à 18 heures pour courir de nuit. Autour d’un parcours de 5 kilomètres intégralement éclairé, les concurrents disposaient de trois zones de ravitaillement, de deux brumisateurs et d’une station d’épongeage à chaque boucle pour éviter la surchauffe. Les cent-bornards, qui visaient un podium, n’ont terminé que 6e, loin derrière les vainqueurs américains.
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