« Autoportrait de l’auteur en coureur de fond » de Haruki Murakami – Extrait 3
Cet ultra-marathon est l'un des pionniers au Japon. La compétition rassemble des athlètes qui vivent dans la région, efficaces et performants. C'est une manifestation sympathique à laquelle il est plaisant de participer.
Je n'ai pas grand-chose à dire sur la première partie de la course, depuis le départ jusqu'au premier point de repos, au kilomètre 55. Je me suis contenté de courir en silence. Fondamentalement, ce n'était pas tellement différent d'une course de fond, un dimanche matin. Si j'étais capable de conserver une foulée de jogging, soit un kilomètre en six minutes, avais-je calculé, je pourrais boucler les cent kilomètres en dix heures. En y ajoutant les quelques minutes nécessaires pour me reposer et me nourrir, j'espérais terminer en moins de onze heures. (J'ai compris plus tard que j'avais été bien trop optimiste.)
Au kilomètre 42, un panneau indique CECI REPRÉSENTE LA DISTANCE D'UN MARATHON. Une ligne blanche sur le poteau en béton marque précisément le kilométrage. Si j'exagère un peu, je dirai que j'ai ressenti comme un léger tremblement en dépassant ce panneau. J'expérimentais pour la première fois l'au-delà des quarante-deux kilomètres. Pour moi, c'était comme le détroit de Gibraltar. Comme m'élancer ensuite sur une mer inexplorée. Au-delà, quelles étaient les créatures inconnues, tapies dans l'attente, qui vivaient là ? Je n'en avais pas la moindre idée. Je ressentais la même terreur que les marins de l'ancien temps.
Une fois la ligne dépassée, alors que je me rapprochais des cinquante kilomètres, j'ai eu comme l'impression que mes sensations corporelles se modifiaient légèrement. Comme si les muscles de mes jambes commençaient à se rigidifier. En outre, j'avais faim, j'avais soif. J'avais décidé qu'à chaque arrêt je devrais absolument boire un peu d'eau, que j'aie soif ou non; pourtant, comme un destin malheureux, comme la reine de la nuit au cœur sombre, la déshydratation m'a tenaillé tout au long du chemin. Je me sentais un peu inquiet. Je n'en étais pas encore à mi-course, et si je me trouvais déjà dans cet état, serais-je capable de terminer les cent kilomètres?
Au point de repos du kilomètre 55, je me suis changé et j'ai enfilé des vêtements propres. Je me suis restauré avec le petit en-cas qu'avait préparé ma femme. À présent que le soleil se trouvait haut dans le ciel et que la température s'était élevée, j'ai ôté ma combinaison, revêtu une chemisette propre et un short. J'ai aussi changé de chaussures: mes New Balance spéciales ultra-marathon (croyez-moi, il existe vraiment des produits de ce genre), de pointure huit, je les ai troquées contre une huit et demie. Mes pieds avaient commencé à gonfler et j'avais besoin d'une demi-pointure supplémentaire. Le temps restait nuageux, le soleil ne se montrait décidément pas, et j'ai décidé de me débarrasser de mon chapeau. Je m'en étais muni aussi afin de garder la tête au chaud en cas de pluie, mais tout risque d'averse paraissait écarté. Il ne faisait ni trop chaud ni trop froid, des conditions vraiment idéales pour une course de fond. J'ai vidé deux packs de gelée nutritive, les ai remplis d'eau, me suis restauré de pain beurré et de cookies. J'ai procédé à quelques étirements soigneux sur l'herbe et aspergé mes mollets d'un spray anti-inflammatoire. Je me suis rincé le visage, en ai fait disparaître la poussière et la sueur, je me suis rendu aux toilettes.
Je m'étais ainsi accordé un repos de dix minutes environ mais pas une seule fois je ne m'étais assis. Si je l'avais fait, je craignais que me relever et me remettre à courir ne soit trop difficile. Ne pas m'asseoir me paraissait plus prudent.
– Ça va ? m'a-t-on demandé.
– Oui, ça va, ai-je répondu simplement. J'aurais été bien incapable d'en dire plus.
Après avoir bu suffisamment, pratiqué des étirements sur mes membres inférieurs, je suis reparti sur la piste et j'ai recommencé à courir. Il restait quarante-cinq kilomètres, il fallait courir, courir jusqu'au bout. À peine avais-je repris ma course, cependant, que j'ai senti que quelque chose clochait. Les muscles de mes jambes s'étaient durcis comme une vieille gomme solidifiée. Mon endurance était encore tout à fait intacte, ma respiration, régulière, pas du tout désordonnée. Seules mes jambes n'en faisaient qu'à leur tête. Moi, je voulais résolument courir, mais on aurait bien dit que mes jambes n'étaient pas du même avis.
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